Notre réaction face au drame de Jean Pormanove
Lugdunum Leather - Collectif BDSM lyonnais
Le 20 août 2025, au lendemain de l'annonce du décès de Jean Pormanove, nous nous sommes réunis spontanément pour échanger sur ce drame qui nous a profondément bouleversés. En tant que collectif spécialisé dans les pratiques BDSM et la prévention des dérives, nous ressentons le besoin de vous faire part de notre analyse et de nos préoccupations.

Un choc face à la reconnaissance de mécanismes que nous connaissons
Nous devons vous l'avouer : parmi nous, certains ne réagissent habituellement pas aux faits divers. Mais cette fois, impossible de rester silencieux. En voyant ces images terrifiantes, nous avons immédiatement reconnu des échos troublants avec notre univers : "Ça me ramène au BDSM, à la dégradation, aux slaves qui me racontent les horreurs qu'ils ont subies par d'autres Masters."
Cette première réaction révèle quelque chose d'essentiel dans notre approche : nous savons identifier, dans ce qui s'est passé, non pas du BDSM authentique, mais une perversion de ses codes. Nous tenons à établir d'emblée une distinction fondamentale : ce que nous avons vu n'était pas du BDSM. C'était de la domination toxique.
Le syndrome de Stockholm : comprendre le piège psychologique
Notre expérience nous permet d'analyser les ressorts psychologiques qui ont mené à cette tragédie. Ce que nous observons dans le cas de Jean Pormanove illustre parfaitement le syndrome de Stockholm : ce mécanisme par lequel une victime développe une relation de dépendance et d'attachement envers ses bourreaux.
Ce syndrome repose sur un besoin humain fondamental : celui d'appartenir à un groupe, d'exister aux yeux des autres, de recevoir de l'attention. Face à l'isolement social, certaines personnes vulnérables acceptent de subir le pire pourvu qu'on s'intéresse à elles. Elles normalisent progressivement l'inacceptable, transformant la maltraitance en preuve d'attention, l'humiliation en signe d'appartenance.
Dans le streaming comme nous l'avons observé, ce mécanisme est amplifié par plusieurs facteurs : la visibilité publique qui donne l'illusion d'une reconnaissance sociale, l'audience qui devient témoin complice, et surtout la dimension économique qui justifie la souffrance par une pseudo-rémunération. La victime finit par intérioriser que sa valeur réside dans sa capacité à encaisser, à divertir par sa dégradation.
Nous reconnaissons ces mécanismes car nous les côtoyons dans notre milieu. Combien de fois avons-nous rencontré des personnes qui cherchent dans le BDSM non pas l'épanouissement, mais la confirmation de leur indignité ? Combien se présentent "no limit" parce qu'elles ont intériorisé qu'elles ne méritent pas de protection ?
La différence fondamentale avec nos pratiques tient au cadre : nous identifions ces fragilités pour les protéger, pas pour les exploiter.
Nous questionnons les limites du consentement
Au cœur de nos préoccupations émerge une réflexion que nous portons depuis longtemps : le consentement n'est pas un rempart suffisant. Nous refusons de pratiquer le BDSM avec des personnes "no limit", car nous savons qu'elles sont souvent en processus d'autodestruction.
Notre position éthique est claire : nous ne voulons pas être acteurs du suicide moral et physique d'une personne. Nous savons reconnaître le faux consentement de la personne fragile sous influence. Nous comprenons que certaines personnes ne sont pas véritablement en mesure de donner leur consentement, pas en pleine conscience.
Nous dénonçons l'absence de cadre et la marchandisation
Notre analyse porte également sur l'absence totale d'encadrement dans ces lives. Nous y voyons uniquement la possibilité de franchir les limites d'un homme en allant toujours plus loin, plus fort. Le seul cadre que nous identifions est économique : faire de l'argent sur le dos des victimes.
Cette dimension financière confirme notre diagnostic : nous sommes face à une exploitation commerciale de la vulnérabilité, à l'opposé de nos pratiques BDSM encadrées et bienveillantes.
Nous voulons agir : vers un manifeste éducatif
Face à ce constat, nous ne pouvons rester inactifs. Nous ressentons le besoin de créer un manifeste – non pas rigide, mais qui pose des bases de réflexion sur la domination consentie et la dégradation. Ce travail nous préoccupe depuis longtemps, notamment face aux "gueules cassées du BDSM" que nous accompagnons.
Notre approche sera pédagogique et bidirectionnelle : nous voulons créer un outil éducatif pour les soumis ET pour les dominants. Nous savons qu'il existe des signes permettant d'identifier qu'une relation est potentiellement toxique. Notre objectif n'est pas de créer un cadre légaliste mais de vous aider à vous poser les bonnes questions.
Nous redéfinissons l'autorité et la domination
Nous portons une vision claire de ce que doit être la domination. Nous nous demandons : un dominant est-il une personne dont l'autorité repose sur l'abus, l'insulte et la maltraitance ? Notre réponse est non.
Nous vivons régulièrement des situations qui illustrent la confusion régnant dans certains milieux. On nous dit parfois que nous ne sommes pas de "vrais" Masters parce que nous disons "s'il te plaît" à nos slaves. Cette anecdote révèle à quel point la notion d'autorité est corrompue chez beaucoup.
Nous considérons que la dégradation est un outil pour obtenir un résultat, un lâcher-prise, particulièrement utile pour les personnes à responsabilités qui subissent une pression professionnelle. Mais nous l'inscrivons dans un cadre thérapeutique et temporel précis : c'est un rituel, avec une ouverture et une fermeture, comme une pièce de théâtre.
Nous défendons l'importance de la scène
La notion de "scène" est pour nous la clé de voûte d'une pratique éthique. Cette approche nous permet de délimiter clairement les moments d'échange de pouvoir et de les distinguer de la relation globale. Il existe différentes scènes : publiques et privées, chacune avec ses codes.
Cette conceptualisation s'oppose radicalement à ce qui s'est passé avec Jean Pormanove, où l'absence de cadre temporel et relationnel a permis l'escalade vers la maltraitance continue.
Nous assumons notre responsabilité collective
Nous ne nous posons pas en donneurs de leçons. Nous reconnaissons notre propre vulnérabilité : personne, même parmi nous, n'est à l'abri de déconner et de faire des erreurs. Cette humilité nous conduit à privilégier une approche éducative plutôt que moralisatrice.
Nous témoignons d'une conscience aiguë des enjeux éthiques de nos pratiques et de la nécessité d'un travail continu de prévention. Face aux personnes brisées par des expériences toxiques, nous revendiquons un rôle d'accompagnement et de soin.
Notre engagement : une éthique de la responsabilité
Notre réaction face au drame de Jean Pormanove illustre notre volonté d'assumer une approche mature et responsable des pratiques BDSM. Nous comprenons finement les mécanismes psychologiques en jeu et nous voulons agir pour prévenir de telles dérives.
Nous nous inscrivons dans une logique de prévention et d'éducation, reconnaissant que la frontière entre pratique consensuelle et maltraitance peut être ténue. C'est cette conscience des risques, couplée à une éthique du soin, qui distingue nos pratiques de la domination toxique dont Jean Pormanove a été victime.
Notre projet de manifeste témoigne de notre volonté de structurer une réflexion collective sur ces enjeux. Nous espérons que de tels drames ne se reproduiront plus, et nous nous engageons à y contribuer par notre action éducative et préventive.
Notre engagement concret : un espace d'accueil et de soin
Au-delà de ces réflexions, nous tenons à rappeler que le Munch du Lugdunum Leather constitue un espace de discussion ouvert où se rencontrent des pratiquants dominants, soumis, masters, slaves et switches. Nous cultivons un esprit fraternel fondé sur l'échange libre et bienveillant.
Nous sommes particulièrement attentifs à l'accueil des personnes en situation de harcèlement ou d'abus. Notre groupe s'inscrit dans une dimension d'aftercare et d'écoute, offrant un refuge à celles et ceux qui ont été blessés par des expériences toxiques. Nous croyons profondément qu'après la tempête, il faut savoir tendre la main et accompagner la reconstruction.
Si vous vous reconnaissez dans ces préoccupations, si vous cherchez un espace de dialogue respectueux ou si vous avez besoin d'être écouté après des expériences difficiles, nos portes vous sont ouvertes. Car c'est ensemble, dans l'échange et la solidarité, que nous pourrons construire une pratique plus saine et plus éthique.
Nos pensées pour Jean et ses proches
Avant de conclure, nous tenons à présenter nos condoléances les plus sincères à la famille et aux proches de Jean Pormanove. Derrière ce fait divers qui nous interroge sur nos pratiques, il y a avant tout un homme qui a perdu la vie dans des circonstances tragiques.
Nous souhaitons à Jean de trouver enfin la paix et le repos qu'il n'a pas connus de son vivant. Puisse son histoire servir à protéger d'autres personnes vulnérables de telles dérives.
Sa mort ne sera pas vaine si elle nous permet, collectivement, de mieux comprendre les mécanismes de la domination toxique et de renforcer notre vigilance face aux prédateurs qui exploitent la détresse humaine.